(Chœur de quatre femmes) Lila, qui très jeune avait été mariée contre son gré, travaillait comme vendeuse en grande surface. Son père et son mari ne voyaient pas d’autre avenir pour elle, mais Lila s’agita si bien que le directeur de son magasin la mit au rayon disque, lui permettant ainsi d’utiliser au mieux son amour de la musique. Elle fredonnait souvent les morceaux qui lui plaisaient le plus. Lila n’avait rien de la vendeuse incompétente et blasée, on s’en doute, et sa disponibilité emballait la clientèle. Surtout les hommes. Malgré le succès et l’estime dont on la gratifiait, Lila n’était pas restée longtemps à cette place. On ne connaît pas exactement les raisons de son départ, on sait en revanche que son père a téléphoné plusieurs fois au directeur de magasin pour savoir où était passée sa fille. L’inquiétude était forte. Ne clamait-il pas urbi et orbi que la chaîne de magasins couvrait un réseau de prostitution, ce qui est faux évidemment, et lui a valu une sévère condamnation pour diffamation. Lila s’en foutait. Un père aussi con mérite ce qui lui arrive, et il fallait être sacrément con pour ne pas voir que Lila n’avait rien d’une vendeuse. Commencer par quitter la famille était donc un bon début. Lila voyagea beaucoup, noua plusieurs liaisons pensant qu’elle faisait ainsi une place à la liberté en elle. Simultanément, elle cultivait l’art du chant avec succès, dans des galas, des tournées, des solos qui la remplissaient de bonheur. La griserie de la liberté et du succès fut pourtant de courte durée. Lila voulait davantage. Rêvait de l’exceptionnel, de l’inouï, de l’indépassable. Elle se mit alors à découvrir les joies du danger. Au début, il s’agissait de se couper légèrement pour voir si ça fait mal, ou de s’essayer en privé au jeu du foulard, mais tout cela était loin de la dimension colossale que Lila cherchait à donner à son existence. C’est finalement la route et la voiture qui répondaient le mieux à son désir. Elle conduisait très vite, disait qu’elle avait vu un vieux film avec des types dans des voitures qui faisaient des trucs inouïs, ils sautaient du bolide au dernier moment. Elle disait : la vie ne peut pas être longue, sinon on perd tout. C’est comme regarder un feu qui meurt alors que tu n’as qu’une envie : toucher les braises. Et tant pis si ça fait mal.