Je te raconte une histoire, tu veux bien ?
-. Bon. Encore une des tes histoires.
-. Les personnages s’appellent Claire et Fred, admettons. Dans ma tête, ils sont très précis. Je vois exactement leur visage. Donc, Fred a donné rendez-vous à Claire à la terrasse du Métropole, bien que Claire n’apprécie pas vraiment l’endroit. Fred ne comprend pas pourquoi. Le Métropole attire par un certain charme à l’ancienne, rien à voir avec les minables cafés d’aujourd’hui, leur tables en formica et leur déco de merde. D’ailleurs, tous les touristes qui ont lu attentivement leur guide savent que le Métropole est un des plus beaux cafés rétro de Bruxelles. Le mot « touriste » énerve Claire. Le « Beau », (Fred vient de prononcer le mot pour caractériser l’ambiance du café), si tant est que le mot puisse être accolé à un café sans chuter dans l’insignifiance la plus manifeste, le « Beau », donc, est plus « blessé », plus « fracturé », dit Claire. Une chose vraiment belle contient toujours un peu de douleur, et Claire aimerait citer un poète ou un grand écrivain qui a dit ces choses-là tellement mieux qu’elle, mais rien ne lui vient à l’esprit pour l’instant. Et soudain Fred lui demande si elle veut habiter avec lui. Il est fou d’espoir bien sûr. Claire est embarrassée. Elle refuse. Elle estime que son investissement en elle-même, sa solitude, son indépendance priment une vie commune, toujours faite de compromis finalement, de petits renoncements, de résignation. Dire non est pourtant pesant. Claire en secret rêve parfois d’avoir une vie simple. Commander un coca. Croiser les jambes. Se faire regarder par les hommes. Se laisser aller à la banalité de la vie, quoi. En ce moment, si quelqu’un pouvait lui assurer qu’elle a raison de tout sacrifier à une vie sans compromis, ça l’encouragerait vraiment. C’est douloureux d’être soi-même, dit-elle. Personne ne t’y oblige, reprend Fred. Et il fait une autre proposition. Une proposition qui tient compte des deux parties en présence : Pas de domicile commun, mais une proximité radicale. Deux appartements côte à côte, séparés seulement par un palier. Et là, Claire est enthousiaste : Oui ! Oui ! Cela traduit, - dit-elle - l’idée que nous sommes deux, irrémédiablement singuliers, et l’existence de nos deux bulles sur un même palier spatialise très bien tout cela : bravo !
-. Oui, d’accord, tu me racontes cette histoire, mais qu’est-ce que je dois comprendre, exactement ?