-. Madame Bovary, tu connais ? C’est l’histoire d’une femme qui vit à la campagne, ça se passe loin avant nous. Elle s’ennuie, rien ne lui arrive, elle voudrait une vraie vie comme dans les romans, elle voudrait se donner, être soulevée par un amour insensé. L’auteur est très minutieux, il donne beaucoup de détails, certains disent trop de détails, mais tu sais ce que sont les goûts et les couleurs. Et un jour, cet auteur, Gustave Faubert, a déclaré « Madame Bovary, c’est moi ». Textuel ! « Madame Bovary, c’est moi ! » Je n’invente pas. Tout de même extraordinaire qu’un homme puisse vivre à ce point la vie d’une femme qui n’existe que parce qu’il l’a inventée !
-. Pourquoi me parles-tu de ce livre ?
-. Je ne sais pas … je croyais que tu …
-. Est-il plus intéressant que moi, plus vivant que moi ?
-. Ce livre te nourrit-il plus que moi ?
-. Non.
-. A-t-il des couleurs que je n’ai pas ?
-. Non.
-. Aimes-tu les personnages inventés plus que moi ? J’ai ouvert ton attaché-case, j’ai vu ce qui s’y trouve : ton agenda, trois dossiers repris à la maison pour préparation en vue de l’entretien de mercredi, un numéro des Temps modernes, des lingettes d’eau de Cologne. Et je me dis : moi, où suis-je là-dedans ? Est-ce que ce matin, en me faisant l’amour, tu as pensé à la liste des objets que tu emporterais aujourd’hui au travail ? Dois-je comprendre que le sexe une fois terminé, tu arrives facilement à penser à autre chose, là où moi je m’enfonce dans cette grande clarté que ton amour m’a donnée ? Je suis en permanence éclaboussée de nos éblouissements, et tu lis Madame Bovary quand je ne suis pas là ? Jette ce livre. Jette-le ! Regarde ici. Regarde-moi.