Fixez ce point. Que voyez-vous ? A priori, rien, rien qu’un point. Fixez, fixez encore, fixez longtemps. Avec la concentration, l’intensité voulue et un certain penchant à l’affabulation, vous allez voir ce point se dilater, vivre d’une vie qu’on ne lui connaissait pas. Fixez encore, et le point va grossir, révéler une profondeur insoupçonnée. Ce sera bientôt un entonnoir où il est facile de glisser. Il engendrera en vous des visions imprévues. Bientôt la digue de l’apparence cédera sous votre regard. De ce point risible, si petit, si insignifiant surgiront des visages, des corps. Vous leur donnerez des noms, des raisons d’être, des mouvements, des joies, des peines, des espoirs, des attentes : vous leur donnerez la vie. Et vous comprendrez alors que vous êtes habité par des forêts, des déserts, des montagnes, des villes, que vous êtes humain, mais également plante, oiseau, bête féroce, ange, monstre. Le regard est une terre grasse, la fantaisie y pousse comme chez elle.