Enfant, j'avais de l'asthme. À peine endormi, je me réveillais. J'ouvrais les yeux, une épaisseur de nuit était assise sur ma poitrine. Elle m’étouffait. J'allumais la lampe. Je feuilletais le livre que ma mère m'avait donné. Je m'efforçais de reconstituer mentalement les personnages décrits. Je les imaginais vivants. J'entendais distinctement les bruits de leurs pieds dans la cage d'escaliers, les appels furtifs se faufilaient par le trou de la serrure. Ils étaient là derrière la porte. Ils avaient apporté les vagues de la mer avec eux, ils sentaient le sable et les jeux de plages quand l'eau monte vers le château fort et qu'on a envie de faire pipi. J'aurais voulu les faire entrer et les serrer dans mes bras. Hélas, je ne pouvais pas. Je savais déjà qu'il est dangereux d'ouvrir la porte, car le vent balaie facilement l'illusion. Je respirais de plus en plus mal, je repoussais la souffrance de toutes mes forces, j’étais déchiré entre le besoin qu’on me vienne en aide et la certitude qu’à l’instant où s’ouvrirait la porte mes amis disparaitraient. Je résistais. Et quand, vaincu par l'étouffement, je me résignais à appeler maman, j'avais aux lèvres le sifflement venimeux de la trahison.