-. Tu m’écoutes ?
-. Non, je ne t’écoute pas, personne ne peut t’écouter. Pour t’écouter il faudrait au moins que tu finisses tes phrases, que tu consentes à y mettre un point final. En lieu et place, tu déroules un long ruban filasse dans lequel on se prend les pieds, tu parles, tu parles, tu enchaînes des mots, et ces mots ne vont nulle part. Ils ne construisent pas une signification, tes mots, ils flottent dans l’air comme agités par un vent qui sans cesse les relance, les fait rebondir les uns sur les autres, et jamais ils ne trouvent la terre ferme, jamais. Ils tombent en rafale sur l’interlocuteur, le décourage, le submerge, l’asphyxie, le paralyse. Ta façon de parler est une avalanche linguistique qui dévale la pente de tes angoisses et repousse toute velléité d’échange, et moi, ça me fait peur. Chaque fois que tu me parles, j’ai l’impression de mettre un pied dans un marécage et je sens que je m’enfonce, que je m’enfonce, alors s’il te plaît, tais-toi, force-toi à te taire et restons silencieux côte à côté. Non, surtout ne réponds pas. Silence.