J’aurais voulu être un auteur confiant. J’aurais aimé écrire un théâtre généreux. J’aurais aimé que seuls certains mots aient le droit d’arriver jusqu’à la page, des mots de lumière et de ciel étoilé, des phrases de foi qu’on écoute à genoux. J’aurais aimé que le flux des bons sentiments viennent nettoyer les écuries du pessimisme, que l’espérance remplisse le cœur du public au sortir du spectacle. J’aurais été un auteur utile, prophylactique ! se débarrassant de sa mauvaise conscience en soufflant sur la mauvaise conscience des autres. Deux moins font un plus, deux mauvaises consciences feront bien un début de positivité, en donneront en tous cas l’illusion. Ah, écrire un théâtre qui nie les égoïsmes, un théâtre qui fasse que les spectateurs en sortant se regardent émus d’avoir si été si bien à la hauteur du monde, de ses misères, de son injustice, de ses inégalités, de sa violence, de sa bassesse, pendant deux heures, avant de reprendre le collier quotidien ; d’avoir si bien communié dans la messe des mots généreux et des idées généreuses qu’une sorte d’apaisement moral s’ensuit, comme quand on a bien fait son devoir. J’imagine sans peine le réconfort qu’apporte un théâtre qui réconforte. Fut-ce au prix d’un mensonge. Mais un mensonge généreux peut-il vraiment mentir. Mentir pour le bien, est-ce vraiment la même chose que mentir pour le mal ? Qui pourrait soutenir ça ? Pourtant, je m’obstine à voir ce que je voudrais ne pas voir. Je m’obstine à dire que nous mangeons et que nous sommes mangés, je m’obstine à dire que la passion est sale et propre, que notre sécurité est notre vie et notre mort. Tout homme est un ennemi et je suis l’ennemi de tout homme. Et je m’obstine à dire qu’amis nous ne le deviendrons qu’en sachant que nous arrachons l’amitié aux griffes de l’inimitié. Je n’ai aucune confiance dans l’humanité de mon semblable et je n’ai aucune confiance dans ma propre humanité. L’inhumain pourrait faire de moi un inhumain. En revanche, il est facile d’être humain quand rien d’inhumain ne nous sollicite. Si j’écrivais un théâtre généreux, je pourrais au moins séparer le camp du bien et le camp du mal, j’y installerais une frontière nette, sans bavure, sans équivoque, je la soulignerais d’un trait indiscutable, ainsi je me placerais dans le camp du bien puisque je désigne celui du mal, et j’y placerais les spectateurs avec moi et quand … (L’homme qui parle est arrêté par quelqu’un qui le bouscule pour prendre sa place et parler à son tour.)