-.Tu en fais, une tête. Catastrophe ?
-. Pas vraiment. Mais quand même une boule dans le ventre.
-. Raconte.
-. C’est …. je ne sais pas comment dire …
-. Allez, crache le morceau, ça ira mieux.
-. Bon. Là, il y a un quart d’heure, je traverse la parc d’Egmont, tu vois …
-. Oui, oui, très bien.
-. Il y a du soleil, les fleurs, et sur un banc, j’aperçois une femme que j’ai connue il y a longtemps. J’étais stupéfait de la voir là, bien reconnaissable, pas vraiment changée depuis l’époque de notre première rencontre. Je veux lui faire signe, bien sûr. Je veux l’appeler. J’imagine déjà la suite. Elle redressera la tête, elle mettra quelques secondes à me reconnaître, et on tombera dans les bras l’un de l’autre en riant.
-. Et c’est ce qui arrive.
-. Non justement. En fait, mon élan s’est brisé net.
-. Ce n’était pas elle !
-. Si, c’était elle j’en suis sûr, mais au moment de bondir vers elle, quelque chose m’a paralysé.
-. Quoi ?
-. Une peur.
-. Peur de quoi ? Vous êtes-vous quittés en mauvais terme ?
-. Non. Pas du tout. J’ai eu la trouille de revenir en arrière. Peur qu’une fois passée la surprise d’usage, on ne sache plus quoi se dire, qu’on soit dans la banalité des retrouvailles vingt ans après. On change – à l’intérieur, je veux dire. Elle n’est peut-être plus la même et moi non plus. J’ai eu peur que la rencontre mette en présence deux étrangers qui n’ont plus en commun que le souvenir d’une proximité. En fait, peur de me rendre compte, soudain, que nous étions deux morts qui parlent du temps où ils étaient vivants. Je ne l’ai pas appelée, j’ai baissé la tête et j’ai continué mon chemin.
-. Et ça te reste sur l’estomac ?
-. Oui.